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Tabagisme féminin : La clope pour noyer les désillusions

Beaucoup de jeunes dames avouent fumer pour ne pas affronter les dures réalités de la vie. Malheureusement, c’est brûler la chandelle par les deux bouts.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les Maliennes fument de plus en plus. Et souvent, de manière régulière et excessive. Que ce soit dans les rues, bars ou boîtes de nuit, elles brûlent la clope de façon discrète ou souvent à la vue de tous, selon le degré d’addiction. Pour comprendre la réalité du tabagisme féminin, notre équipe de reportage s’est entretenue avec des fumeuses, aux profils variés. À la suite de discussions souvent brèves et parfois profondes, nos fumées se sont confiées.

C’était un samedi soir vers 21h dans un petit bar à l’ACI 2000. Cet endroit réservé aux filles de joie reçoit devant son portail bleu feutré et rouillé de nombreux clients. À la recherche de nos cibles, nous franchissons la porte de ce lieu faiblement éclairée aux murs dégradés. L’endroit vibre au rythme d’une musique douce qui caresse les oreilles. À quelques encablures de la porte d’entrée, Aïcha que tous surnomment ici «Aïcha 8-6» (nom d’alcool) tenue involontairement les salutations. Du haut de sa vingtaine, la frêle jeune fille aux cheveux courts et désordonnés semble perdue dans ses pensées.

Elle est vêtue d’une petite culotte noire et d’un petit haut rouge sans manche qui faisait ressortir son tatouage sur la poitrine. Entre ses lèvres, une mèche de cigarette dégage lentement sa fumée pendant qu’elle tient dans sa main droite une canette d’alcool.  Presque instinctivement, nous engageons une discussion avec elle. Ses propositions sont presque incompréhensibles et ses yeux s’ouvrent à peine. «La cigarette, c’est la dose qu’il me faut pour vivre», dit-elle sans gêne. Aïcha a développé une addiction à la nicotine et explique que les problèmes familiaux sont à l’origine de cette situation.

Au début, c’était une manière sûre d’oublier ses problèmes et d’avoir la force de pratiquer le plus vieux métier du monde. «Chaque jour, je fume au minimum 2 paquets de cigarettes. Je ne m’en lasse pas parce que sans elles, je ne survivrai jamais. Je fume jusqu’à avoir des douleurs thoraciques», avoue celle qui fume depuis plus de 5 ans maintenant.

Non loin de ce bar, dans les environs de la gare routière de la Guinée, Wassa Traoré, une autre jeune fumeuse que nous avons croisée la même nuit, se confie : «La cigarette me permet d’affirmer ma personnalité et de m’imposer». Notre interlocuteur dit avoir récemment arrêté de consommer du tabac du fait des pesanteurs sociaux. «Je voulais surtout imiter les dames dans les films de gangster. Étant illettré, j’ignorais complètement les conséquences», argumente la jeune dame.

Comme nos interlocuteurs précédents, Aminata (nom d’emprunt) que nous avons rencontré cette fois-ci au poste de Sébénikoro fume aussi la cigarette depuis plus de 3 ans. Elle a essayé d’arrêter de nombreuses fois sans y parvenir. Vendeuse de sachets d’eau, elle a commencé à fumer au contact des apprentis et vendeurs de café du coin. «Je sais que c’est un produit destructeur pour ma santé et mon image. Mais c’est plus fort que moi. Je me cache pour fumer et c’est généralement mes amis qui m’en fournissent», affirme-t-elle.

SANTÉ DE LA REPRODUCTION DÉFAILLANTE- Pr Youssouf Traoré, chef du département de gynécologie-obstétrique au CHU Gabriel Touré, prévient que la cigarette qu’elle soit consommée de manière active ou passive nuit à la santé de la reproduction féminine. Cette évidence s’explique par le fait que la fuite du produit provoque des dysfonctionnements sur l’appareil reproducteur féminin, en altérant la qualité de l’ovule, entraînant ainsi les chances pour la femme de tomber enceinte. Le spécialiste renseigne que la nicotine affecte la mobilité des trompes de Fallope, ce qui augmente le risque de grossesse extra-utérine. L’autre risque est que le placenta peut se développer anormalement, entraînant des complications comme un retard de croissance fœtale, un accouchement prématuré ou un décollement du placenta.

«Le tabac dégrade la qualité des follicules (structures ovariennes contenant l’ovule). Or, si celle-ci est de mauvaise qualité, la production hormonale sera perturbée. Les règles peuvent devenir irrégulières, plus longues ou très faibles, voire douloureuses», détaille Youssouf Traoré. Abordant les effets du tabac sur l’ovulation, il informe que «le tabac accélère la ménopause de 2 à 4 ans. Les fumeuses présentent un taux de 66% plus élevé d’hormones folliculo-stimulantes (FSH)».

En ce qui concerne la fécondation in vitro, le toubib déclare qu’il faut des doses plus élevées de médicaments pour stimuler l’ovulation chez les fumeuses et les résultats sont moins satisfaisants. «Les fumeuses consommant plus de 20 cigarettes par jour, courent un risque quatre fois plus élevé d’avoir une grossesse ectopique (extra-utérine), souvent localisée dans les trompes de Fallope», prévient notre interlocuteur. Le Pr Youssouf Traoré ajoute que le tabac entraîne le développement précoce de l’embryon, augmente le taux de fausses couches, le retard de croissance fœtale et les complications obstétricales.

TRAQUENARDS DE LA SOCIÉTÉ – De son côté, le sociologue Sadio Sow précise que le tabagisme est de nature une pratique réservée à la gent masculine. Cependant, soutient-il, la modernisation du monde pousse les femmes à mimer cette tendance. Selon lui, les parents dans leur rôle d’éducation doivent être vigilants et réprimander les écarts de conduite de leurs enfants afin d’éviter des comportements malsains comme le tabagisme. Mais avant cette étape, il exhorte les parents à être des modèles pour leurs enfants en évitant d’adopter certains comportements en leur présence. «Les enfants sont en général très influençables.

Fumer en leur présence, peut facilement les conduire à les imiter», prévient-il. Au Mali, les valeurs humaines ancestrales rejettent le tabagisme féminin. «Beaucoup de femmes fumeuses se cachent pour le faire, car elles savent que leur addiction est considérée comme une dépravation des mœurs», fait comprendre le sociologue.

Face au tabagisme des femmes, Toumani Diarra, chef de famille invite les parents à assumer leur responsabilité et à sensibiliser leur progéniture sur les dangers de la cigarette. Nous vivons et évoluons dans un environnement où les traquenards ne manquent pas parmi lesquels le tabagisme actif qui pourrait facilement glisser vers l’ingérence de substances psychotropes plus dangereuses, surtout en milieu juvénile en proie aux déceptions de la vie. Le tabac, comme le confirme beaucoup de nos interlocuteurs, est le refuge «presqu’idéal» pour elles de noyer leurs soucis, leurs désillusions. L’éducation aux valeurs ancestrales a ici toute sa place pour préserver nos enfants des affres de la dépravation des mœurs, en l’occurrence réussir à les détourner du tabagisme.

Une grave menace sur la santé publique
Fumer la cigarette n’est pas une habitude ancrée dans nos traditions. Le tabac était transformé en poudre pour être chiqué plutôt que fumé. Ainsi chiquer du tabac était réservé uniquement aux personnes d’un certain âge et les jeunes étaient exclus de ce rang. Rouler les feuilles de tabac pour en faire des clopes et les fumer n’était pas très courant pour le commun des citoyens. Ce snobisme, importé par la civilisation occidentale, a été surtout exacerbé par les influences extérieures véhiculées à travers le cinéma, les espaces publicitaires et autres lieux de réjouissance.

Au regard des ravages sanitaires de la consommation des cigarettes, des campagnes anti-tabac ont été lancées pour dissuader la fabrication, la vente et la consommation de la clope.

Ainsi, la Journée mondiale sans tabac, célébrée le 21 mai, a été instituée en 1987 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le but de sensibiliser sur les conséquences redoutables de la consommation du tabac, notamment au plan sanitaire, humain et économique. À l’occasion, la campagne anti-tabac bat son plein avec des messages de sensibilisation sur les dangers encouragés par la consommation de la cigarette.

Pour l’édition 2025, le thème retenu à l’échelle mondiale est : «Levons le masque !». Une thématique qui s’attaque aux industriels du tabac et à leurs stratagèmes pour séduire les consommateurs de plus en plus jeunes. Le Mali, de son côté, s’est longtemps investi dans cette lutte en adoptant la loi n°10-033 du 12 juillet 2010 relative à la commercialisation et à la consommation du tabac et des produits du tabac. Cette disposition interdite «la publicité en faveur des tabacs, cigarettes et cigares à la télévision, à la radio, dans les salles de cinéma et sur certains panneaux publicitaires». Selon une étude récente révélée par l’OMS, «l’épidémie de tabagisme est l’une des plus graves menaces ayant jamais pesé sur la santé publique mondiale. Elle fait plus de 8 millions de morts chaque année dans le monde».

DEMBÉLÉ Siguéta Salimata

L’Essor

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