Les tickets du marché ou « SALEN » en langue bamanan sont censés générer d’énormes ressources financières au profit des collectivités territoriales. Où va donc cette somme collectée chaque jour dans les marchés ? Enquête en communes I, V et VI du district de Bamako.
Dans le cadre de la politique de décentralisation, les collectivités territoriales sont autorisées à percevoir des taxes communales. Parmi celles-ci, figurent les tickets de marché appelés « SALEN ». Cette taxe est payée chaque jour par les occupants des marchés en raison 50 FCFA, le ticket. Le processus de collecte des tickets de marché qui varie d’une commune à une autre est censé générer une manne financière assez importante. Pour Alou Coulibaly, ancien maire de la commune VI du district de Bamako, « les marchés constituent une véritable source de revenus pour les communes ». Les tickets de marché dans la conception, reconnaît Alou Coulibaly, devrait profiter aux collectivités. La pratique est une autre réalité, avoue-t-il.
La Commune V du district de Bamako, selon son maire Amadou Ouattara, compte dix-huit (18) marchés, placés sous la responsabilité de Modibo Cissé, chargé de tickets de marché au niveau de la mairie depuis janvier 2023. Selon le Maire, les dix-huit (18) marchés ont apporté en 2023 à la commune la somme de 75 500 000 F CFA contre 54 000 000 F CFA l’année précédente.
La Commune I du district de Bamako, souligne son maire Oumarou Togo, compte 13 marchés. Les agents de la mairie collectent les fonds de 8 marchés tandis que les GIE passent par les 5 autres. Monsieur Togo met en avant les difficultés de gestion des marchés de légumes. Dans cette commune, la mobilisation des ressources varie d’un marché à un autre. Selon les chiffres mis à disposition par le maire, le marché de Fadjiguila est le plus grand pourvoyeur de recettes avec une mobilisation journalière de 30 000 FCFA. Le marché de Konatébougou met chaque jour dans la cagnotte 11 000 F CFA contre 6 000 FCFA pour le marché de Sikoro. Babiyabougou, qui est le plus petit des marchés de la commune I contribue à hauteur de 2 000 FCFA par jour.
Avec 25 marchés, la commune VI a un dispositif de collecte de tickets de marché assez particulier avec des GIE, sélectionnées, selon Bougouzanga Coulibaly, technicien à la mairie, suite à un appel d’offres. Un système, selon lui, qui oblige la mairie à attendre le compte-rendu des GIE à la fin du mois. Pour lui, il faut que la mairie change de politique de gestion des tickets des marchés ».
Parlant de la fourchette des recettes, Ténémakan Koné, 1er Adjoint du maire de la commune VI estime que les marchés n’ont pas les mêmes capacités de mobilisation des ressources. Selon lui, le marché de Banankabougou qui est le plus grand marché de la commune apporte à la mairie entre 2 500 et 4 000 FCFA par jour.
Au marché de Niamankoro la redevance journalière, varie entre 1 000 et 1 500 F CFA par jour.
Cheick Tidjane DIARRA est membre du comité de gestion du Marché de Magmambougou. « 2017 à 2019, c’était une période d’essai et on collectait entre 15 000 et 18 000 FCFA par jour. Après les deux ans, la marie a confié la gestion aux GIE. Le comité de gestion des marchés et les GIE étaient en désaccord faute de non-respect des règles. Mais le comité de gestion a fait profil bas et a opté pour la sensibilisation des marchands à payer les tickets », constate-t-il.
« Il faut noter que les gens refusent de payer la redevance. C’est pourquoi nous envoyons souvent nos services pour sensibiliser afin qu’ils payent la redevance. Ils nous arrivent de faire le forcing pour obliger les gens à payer. Il y a un sérieux problème de mobilisation de ces fonds », martèle le 1er adjoint au Maire de la commune VI.
Ali Papa Sanogo, membre du Comité de gestion du marché en commune VI, évoque des difficultés : « Nous avons d’énormes problèmes au moment des collectes, l’agent collecteur est le responsable des tickets restant. Ces agents ont des problèmes avec les marchands au marché de Sénou Logokan, Missabougou, faute de ramassage d’ordure » a-t-il laissé entendre.
Aveux d’existence de fraude
Si le maire de la commune I déclare n’avoir jamais enregistré de cas de ticket parallèles, son homologue de la Commune V reconnaît l’existence de la fraude dans le processus de vente des tickets de marché. «Nous avons des réels soucis avec les tickets des marchés. Malgré le fait que nous avons voulu avoir des tickets sécurisés avec Sitan Imprim, nous avons constaté des tickets parallèles. Avec la sensibilisation des collecteurs, nous sommes en train de minimiser cette fraude. Quoi qu’on fasse, il n’est pas du tout facile », avoue Amadou Ouattara.
À en croire Seïba Konta vendeur d’articles divers au marché de Daoudabougou, les recettes issues de la collecte des tickets de marché sont partagées entre un groupe d’agents et certains responsables de marchés. « C’est une infime partie qui va au trésor public », martèle-t-il.
Le responsable des tickets de marché au niveau de la commune V, Modibo Cissé ne partage pas cet avis et soutient que les recettes générées sont directement versées au trésor. « Nous travaillons sous le contrôle de la mairie. Les vendeurs payent 50 F CFA par jour. Ces sommes sont collectées par secteurs avec les percepteurs qui les reversent au receveur qui, à son tour, fait le versement sur le compte du trésor public. C’est tout un processus. Jamais on ne touche l’argent espèce », tranche notre interlocuteur.
En prenant les commandes de la mairie de la Commune VI, Alou Coulibaly déclare avoir fait un constat amer en regardant la situation des marchés. Derrière chaque GIE, dénonce-t-il, se cachait un élu. On ne peut pas être juge et partie. «J’ai constaté que certains GIE ne versaient plus rien à la commune. J’ai annulé les contrats des GIE et j’ai recruté des jeunes. Pour le premier mois, on a eu plus de 8 millions de recettes. Ce système que j’ai mis en place avait deux avantages majeurs. La commune gagne des ressources et le recrutement des jeunes permet de réduire le chômage ». Une décision, selon lui, qui a été mal appréciée par certains élus. « Ils n’étaient pas contents. Après moi, on est revenu à la case de départ avec le retour des GIE ».
Cheick Tidiane Diarra, membre du Comité de gestion du Marché de Magnambougou, avoue aussi que certains membres de l’équipe communale se cachent derrière des GIE. « Avant, il y avait un GIE qui s’occupait de la collecte des tickets des marchés, mais ça n’a donné aucun résultat. Après la mairie à délégué des GIE pour la collecte, car les élus se cachent derrière ces GIE écrans ».
«N’importe quel GIE peut avoir le contrat s’il remplit les conditions. Les élus n’ont pas de GIE», tranche Ténémakan Koné.
L’ancien maire de la commune VI déclare avoir décelé quelques cas de fraudes avec des agents qui confectionnent des tickets parallèles. Rapidement, souligne Alou Coulibaly, on a mis en place un système pour l’éradiquer. Selon lui, il revient aux collectivités de prendre des dispositions idoines pour maîtriser l’ensemble du mécanisme.
Digitalisation comme l’une des solutions
La commune V du district de Bamako, explique son premier responsable, est une pionnière dans la digitalisation des tickets de marchés. «Dès 2017, la commune V a voulu aller à la numérisation malheureusement nous n’avons pas été compris par le collectif des acteurs des marchés», rappelle Amadou Ouattara. Selon l’édile, la digitalisation va bousculer les habitudes. « La digitalisation n’est pas la panacée. Comme tout système, elle a ses avantages et ses inconvénients », souligne-t-il.
Le maire de la Commune V pense que la digitalisation pourra aider à faire la traçabilité des ressources financières collectées, mais aussi apporter beaucoup de transparence dans la gestion des affaires de la collectivité. Pour lui, il est clair que la traçabilité des ressources financières est gage de développement. « Nous sommes preneurs de toute solution de digitalisation des taxes », lance Amadou Ouattara qui ambitionne de regarder depuis son ordinateur ou sa tablette la position des fonds collectés.
Oumar Togo pense que la mairie gagne plus de ressources avec la digitalisation des tickets. « Nos tickets ne sont pas électroniques pour l’instant….. Dans notre politique d’amélioration, nous souhaiterions passer à la version numérique. Car la mairie gagne plus avec la digitation des tickets ».
« J’ai eu beaucoup de déboires. Personne ne veut la numérisation parce qu’il s’agit de la transparence », avertit le maire Amadou Ouattara.
A. Ouattara /Malijet.Com
Note de la rédaction
Cette enquête a été réalisée dans le cadre du Projet « Kenekanko », une plateforme de lutte contre la corruption et la violation des droits de l’homme, développée par la Fondation Tuwindi.
Source : Malijet