Cet arrêt est relatif à la requête de la Refsyma et l’AMPP, aux fins de constatation de vide institutionnel au Mali, pour vacance du président de la Transition militaire et déchéance de ses organes, et de mise en place d’une nouvelle Transition a vocation de rassemblement, y compris l’armée républicaine.
Cet arrêt, réputé rendu le 18 avril 2024, n’a été jusque-là notifié qu’à l’un des requérants, et ce le 26 avril 2024, par voie d’huissier, et rendu public le même jour.
Dans sa requête du 28 mars 2024, les deux organisations, Refsyma et l’AMPP, dénoncent la fin de la Transition, intervenue le 26 mars 2024, en vertu du décret présidentiel n°2022-00335/PT-RM du 6 juin 2022, fixant la durée de la Transition à 2 ans, à compter du 26 mars 2022.
Que cette fin de la Transition provoque immédiatement la vacance du président de la Transition et la déchéance de ses deux autres organes, en l’occurrence le Conseil national de transition (CNT) et le gouvernement de la Transition.
Que la vacance concomitante de ces trois organes de la Transition (Charte de la Transition, art. 3) crée par conséquent un vide institutionnel.
Que malgré ce constat, la persistance des autorités en place à gouverner en dehors de toute légalité, donne aux citoyens maliens le droit à la désobéissance civile, toute chose qui met en péril la cohésion sociale et la sécurité nationale.
Prétentions des deux organisations (ce qu’ils demandent à la Cour constitutionnelle)
D’une part, les requérants demandent à la Cour de déclarer recevable leur saisine.
D’autre part, ils souhaitent que la Cour statue en leur faveur, en disant :
- Que “la Transition a pris fin le 26 mars 2024”;
- Que “les autorités actuelles sont sans mandat ou pouvoir pour représenter le Mali”;
- Qu’“une nouvelle Transition à vocation de rassemblement et réconciliation incluant toutes les composantes de la nation, y compris l’armée républicaine, avec comme missions principales assignées l’organisation des élections en vue du retour à l’ordre constitutionnel dans le respect strict des libertés publiques et individuelles est ouverte”.
Moyens de droit invoqués (arguments juridiques évoqués) en soutien à leur cause
- Sur la recevabilité de leur requête (leur saisine de la CC) :
Sachant bien qu’ils n’ont pas une qualité expresse (écrite par la loi) à saisir la CC, les requérants invoquent un précédent.
En l’occurrence, le 27 mai 2021, trois jours après la chute de Bah N’Daw, le ministre-directeur de cabinet du vice-président de la Transition (Assimi Goïta), a saisi la Cour constitutionnelle par lettre n°000145, à l’effet de constater la vacance du président de la Transition et la dissolution du gouvernement, et de permettre par conséquent que le vice-président assure son intérim.
La CC a déclaré recevable cette requête, le 28 mai 2021, un jour seulement après son dépôt (contrairement au cas-ci, qui leur a pris au moins 21 jours), en soutenant que :
- l’article 36, alinéa 2 de la Constitution de 1992 prévoit seulement la vacance du président de la République, et la procédure pour sa constatation ;
- la charte de la Transition, complétant la Constitution de 1992, n’a aucune disposition relative à la vacance du président de la Transition et aucune procédure y afférente ;
- ce vide juridique ne saurait bloquer le fonctionnement des organes de la Transition et l’activité des pouvoirs publics.
Toutes choses égales par ailleurs, en l’espèce, les requérants pensent qu’aucun texte, ni la Constitution de 1992, ni celle de 2023, encore moins la Charte de la transition, n’a prévu la vacance du président de la Transition et la déchéance des deux autres organes au même moment. Autrement dit, la vacance concomitante du président de la Transition, du Conseil national de la transition et du gouvernement de la Transition, du fait de la fin de la Transition, n’est prévue par aucun texte au Mali.
Donc, conforme à la sagesse de la Cour, leur requête doit être déclarée recevable, pour éviter que ce vide juridique ne puisse bloquer le fonctionnement des organes de la Transition et l’activité des pouvoirs publics.
- Sur le fond de la requête :
Les requérants invoquent le décret présidentiel du 6 juin 2022, portant la durée supplémentaire de la Transition à 2 ans, à compter du 26 mars 2022.
Et cette durée est arrivée à échéance le 26 mars 2024. Il est clair qu’après ce délai et sans rajout de la part de l’auteur du décret, la Transition tombe dans un vide juridique et institutionnel aux yeux de la loi.
Ensuite, les requérants invoquent plusieurs dispositions de la nouvelle Constitution, principalement :
- l’article 186, qui donne aux citoyens, le droit à la désobéissance civile, lorsque la forme républicaine de l’Etat est remise en cause ; et le fait qu’une poignée de personnes conservent le pouvoir par la force, en violation des dispositions de la Constitution, de la Charte et de son décret d’application (complémentaire), participe à la remise en cause de la forme républicaine de l’Etat ;
- l’article 37, qui dit que la “souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus au suffrage universel direct ou indirect ou par voie de référendum”, et qu’“aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice”; et le fait que le colonel Assimi demeure au pouvoir en violation des textes de loi, s’attribue ainsi par la force l’exercice de la souveraineté du peuple.
Cas de la requête de Dr. Mahamadou Konaté en intervention volontaire accessoire
C’est un principe général de droit qui permet à une partie qui se sent concernée par les conséquences d’une instance en justice, de demander au juge de lui permettre d’intervenir (possible oralement, lors du procès) en faveur de la partie avec laquelle il a un intérêt lié.
Cette demande en intervention volontaire est dite principale, lorsqu’elle formule une nouvelle prétention au profit de la partie qu’elle appuie, et dite accessoire, lorsqu’elle vise uniquement à défendre la prétention faite par la partie soutenue.
Il ressort de la lettre du 5 avril 2024, du Mouvement Reconstruire/Baara ni Yiriwa, que sa demande vise à intervenir volontairement en appui à la requête des deux syndicats précités. Il n’a soulevé aucune autre prétention. Donc, c’était une demande en intervention volontaire accessoire.
De ce fait, elle n’avait pas à être érigée en une “requête distincte tendant aux mêmes fins” par la CC, sans même l’avoir écouté une seconde sur ses éléments d’appui. Il n’avait aucune prétention propre, que celle d’éclairer davantage la lanterne des juges constitutionnels sur les prétentions des deux syndicats.
Problème de droit posé à la Cour constitutionnelle
Est-ce qu’il y a vacance des organes de la Transition (président de la Transition, le Conseil national de transition et le gouvernement de la Transition), du fait de la fin de la Transition intervenue le 26 mars 2024 ?
Solution de la Cour constitutionnelle
Pour ne pas avoir à répondre à cette question de droit, la Cour a reformulé les prétentions des deux syndicats et les résumer à la question de vacance de président de la Transition. Alors qu’elle-même a plus ou moins bien rappelé dans son premier Considérant, qu’il s’agissait plutôt de “constater un vide institutionnel résultant de la vacance de la présidence de la Transition ainsi que la déchéance de tous ses organes”.
Donc, la Cour a sciemment considéré une question que les requérants ne lui ont pas posée. Elle a sciemment recherché la procédure d’une saisine qu’elle s’est elle-même fabriquée, en l’occurrence celle relative à la constatation de la vacance du président de la Transition (devrait-on dire, et non pas présidence de la Transition, qui n’est pas un organe de la Transition au titre de l’article 3 de la Charte révisée).
Après avoir habilement détourné la cible, elle pouvait gaillardement invoquer l’article 7 nouveau de la Charte révisée, qui dit effectivement, qu’“en cas de vacance de la présidence de la Transition”, c’est le président du CNT et le Premier ministre qui peuvent la saisir. Et le tour est joué.
Il y a lieu de le lire à la conscience des Maliens, et de toute l’humanité, que dans le cas d’espèce, la Cour constitutionnelle du Mali a statué Extra petita. Ce qui signifie en droit, que la Cour a sciemment répondu à une sollicitation que les deux syndicats n’avaient pas faite.
Ils n’ont jamais demandé à la Cour de constater la vacance du président de la Transition tout court, mais plutôt la vacance du président de la Transition ainsi que la déchéance de tous ses organes. Autrement dit, il s’agissait de la vacance de tous les organes de la Transition, un vide institutionnel, qui n’est prévue ni par la Charte ni par les Constitutions de 1992 et de 2023.
Si la Cour avait respecté cette demande claire des deux organisations, elle serait forcée de déclarer recevable leur requête, en vertu du précédent qu’elle a elle-même créé, de bon droit, le 28 mai 2021, en réponse à la lettre du ministre-directeur de cabinet du vice-président de la Transition d’alors.
Dans cette affaire, le droit n’a pas été dit. La Cour n’a pas été au rendez-vous de l’Histoire. Son attitude de deux poids deux mesures a jeté l’opprobre sur tous les hommes de droit, et brisé l’espoir de justice et de garant des libertés du peuple, quand il se sent bâillonné par les plus forts.
Les deux organisations peuvent immédiatement saisir de nouveau la Cour constitutionnelle, ou toute autre association, en reposant autrement la même question, à laquelle la Cour n’a pas voulu répondre.
Jusqu’à ce que les cours de dernier ressort jouent pleinement leur rôle, la justice demeurera au Mali, orpheline.
Dr. Mahamadou Konaté
Juriste publiciste – universitaire
Source : Mali Tribune