Plusieurs partis politiques ont annoncé leur non-participation au dialogue inter malien dont la phase communale a commencé le samedi passé 13 avril 2024. Ce dialogue est censé trouver un terrain d’entente entre les Maliens après le rejet de l’Accord d’Alger de 2015. Mais la question est de savoir jusqu’où le divorce entre les partis politiques et la transition ira ? Le motif des partis de ne pas participer au dialogue est la suspension de leurs activités jusqu’à nouvel ordre. Le gouvernement a pris cette décision pour des raisons d’ordre public.
En réaction, l’Adema, l’URD, le Parena, les Fare An Ka Wuli, Yelema, la Codem et bien d’autres partis ont diffusé des communiqués appelant leurs militants à boycotter le dialogue inter-malien. Pourtant, ces partis n’ont pas demandé à leurs représentants de démissionner du Conseil national de transition (CNT). Le 30 mars 2024, les mêmes partis avaient demandé une transition civile, estimant que le délai de la transition a pris fin avec l’expiration de la date de la prolongation.
Certains observateurs considèrent que les partis ont été pris dans leur propre piège. Ils avaient boycotté quelques semaines plus tôt une rencontre avec le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga. Cette prise de position a agrandi le fossé entre les partis et la transition. Le gouvernement a décidé de suspendre les activités des partis et associations politiques jusqu’à nouvel ordre. Si les partis avaient participé à la rencontre avec Choguel, cette suspension n’aurait probablement pas eu lieu.
Un dialogue fécond aurait été instauré entre les deux parties. Les partis ont rejeté la suspension de leurs activités. Cela pourrait les exposer à des sanctions. Selon la Charte des partis, en cas de menace à l’ordre public ou d’atteinte à la sécurité des biens et des personnes, le ministre chargé de l’Administration territoriale saisit immédiatement la juridiction compétente aux fins de suspension du parti. La suspension fait perdre temporairement à un parti sa capacité juridique. Toutes les activités du parti sont interdites. Les militants du parti ne peuvent, sous peine de poursuites, tenir une réunion.
Tous les locaux du parti suspendu sont mis sous scellés jusqu’à la levée de la mesure de suspension. Le parti politique suspendu peut saisir le juge compétent dans les conditions déterminées par la loi. L’article 48 souligne que la mesure de dissolution, dans le cadre des sanctions, frappe les partis politiques reconnus coupables d’atteinte à la souveraineté nationale, à l’intégrité du territoire ou à la démocratie.
La Charte indique la dissolution d’un parti intervient lorsque la direction nationale du parti prend des engagements ou signe des accords susceptibles de compromettre la souveraineté nationale ; le parti se livre à des manifestations armées ou à des actions terroristes ; le programme du parti compromet l’unité nationale et l’intégrité du territoire ; le parti entreprend des actions qui menacent la démocratie. Cette dissolution est prononcée par le Tribunal civil, soit à la requête de tout intéressé, soit à la diligence du ministère public. Celui-ci peut assigner à trois jours francs, et le Tribunal sous les sanctions prévues à l’article 46, ordonner par provision et nonobstant toute voie de recours, la fermeture des locaux et l’interdiction de toute réunion des membres du parti.
Le gouvernement à travers la HAC a demandé aux médias de ne pas couvrir les activités des partis politiques pendant la suspension. Mais la Maison de la Presse a déclaré avoir été surprise d’apprendre sur les réseaux sociaux, un communiqué de la Haute Autorité de la Communication, invitant les médias (radios, télévisions, journaux écrits et en ligne) « à arrêter toute diffusion et publication des actualités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations ».
Après concertation des organisations faîtières, réunies le jeudi 11 avril 2024 à son siège, la Maison de la Presse rejette purement et simplement ce texte sans fondement juridique de la HAC. La Maison de la Presse appelle l’ensemble de la presse malienne à ne pas se soumettre aux injonctions de la HAC et invite les médias à rester debout, unis et mobilisés pour la défense du droit du citoyen à l’information.
Tension politique
L’opposition est réduite à l’impuissance depuis août 2020 par les mesures coercitives, les mises en cause judiciaires, les dissolutions d’organisation et la pression du discours dominant sur la nécessité de faire corps autour de la transition dans un pays confronté depuis 2012 au terrorisme et à une crise multidimensionnelle.
La mesure de suspension des activités des partis politiques intervient dans un contexte marqué par le débat politique sur la fin de la transition.
Les autorités avaient proposé un chronogramme de 24 mois à partir du 26 mars 2022 pour le retour à l’ordre constitutionnel afin de transmettre le pouvoir aux civils. Dans une déclaration signée le 31 mars 2024, un regroupement de partis politiques et d’acteurs associatifs annonce avoir acté la fin de la transition conformément au décret présidentiel du 6 juin 2022 et lance un appel pour un retour à l’ordre constitutionnel.
Ce décret fixait la durée de la transition à 24 mois, à compter du 26 mars 2022, après des négociations intenses avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Certains acteurs de la vie politique ont proposé une transition civile qui devrait aboutir à une élection présidentielle consensuelle. D’autres ont demandé à la Cour constitutionnelle de constater cette situation et d’en tirer toutes les conséquences.
Pour mettre fin au débat sur la fin de la transition, le Premier ministre malien, Choguel Maïga, a déclaré, lors d’une rencontre du Comité de pilotage du Dialogue inter-malien avec les membres du gouvernement, que la transition en cours prendra fin avec l’investiture d’un président élu.
Dès lors, certains observateurs de se poser la question de savoir si la mesure de suspension ne viserait pas les partis signataires de la déclaration. « Ce n’est pas un décret qui vise en particulier un parti politique ni une association spécifique, c’est une mesure impersonnelle », affirme le Colonel Abdoulaye Maïga qui cite parmi ses motivations « la nécessité de maintenir un climat de sérénité en vue du dialogue direct inter-maliens »
Réactions
L’annonce de cette mesure continue de susciter de vives réactions à l’intérieur et à l’étranger du Mali. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme demande son abrogation pure et simple : « Elle doit être immédiatement abrogée. Un espace civique ouvert et pluraliste est la clé des droits de l’homme, de la paix, de la sécurité et du développement durable », a-t-il tweeté.
Dans un communiqué en date du 11 avril 2024 signé par son président, Aguibou Bouaré, la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh) exprime son regret et son inquiétude sur la poursuite de la tendance systématique de la restriction de l’espace civique et politique. La Cndh déconseille au gouvernement ces atteintes à certaines libertés fondamentales, notamment les libertés d’associations, d’opinion et d’expression. Selon les termes du communiqué, ces restrictions aux droits et libertés fondamentaux au lieu d’apaiser le climat social et politique constituent des facteurs de trouble et de tension dont le pays n’a pas besoin.
Sur sa page Facebook, Moussa Mara, ancien Premier ministre et leader du parti Yelema évoque « une atteinte aux droits constitutionnels des citoyens mais surtout un recul majeur dans la quête de l’unité et de la cohésion de la nation ». Il demande aux autorités « de revenir sur leur décision et de s’engager vers une gestion plus inclusive des prochaines étapes de la transition. ». Dans un tweet, l’ancien Garde des sceaux, Mamadou Ismaïla Konaté, appelle les Maliens à tirer la sonnette d’alerte afin de barrer la route de ce qu’il qualifie « d’autoritarisme de la junte militaire en place depuis plus de 44 mois à la tête de l’Etat et mettre un terme à cette dictature rampante ».
Le président du parti Convergence pour le développement du Mali (Codem), Housseini Amion Guindo, a appelé à la « désobéissance civile jusqu’à la chute du régime illégal et illégitime ». Mohamed Chérif Koné, magistrat entré en rébellion contre la junte et radié, a lui aussi, prôné la désobéissance civile. « Le gouvernement est disqualifié pour parler au nom du Mali depuis le 26 mars », a-t-il dit.
Le Parti malien du travail et de la refondation Pmtr de l’ancien ministre du régime IBK, Baba Moulaye Haidara et le mouvement politique An Biko ont décidé de respecter la mesure en suspendant leurs activités.
A quoi peut-on s’attendre ?
Si l’un des arguments brandis par la junte malienne pour justifier cette suspension des partis politiques est adossé à la tenue du dialogue national, aujourd’hui, après cette décision, la classe politiques, les associations politiques et même certains acteurs de la société civile ont décidé de boycotter ce processus inter-malien dont la phase communale a démarré.
Les termes de référence du dialogue ont été présentés le 5 mars 2024 au président de la transition, Assimi Goïta, après son adoption par quelques 350 participants, membres du Comité de pilotage ou délégués régionaux.
Le dialogue inter-maliens est prévu pour une durée d’un mois d’abord au niveau communal, régional et dans les ambassades maliennes à l’étranger pour permettre aux Maliens de la diaspora d’y participer. Ensuite, il est prévu une rencontre nationale de cinq jours pour discuter de paix, de sécurité, d’économie, de réconciliation nationale, entre autres thèmes.
D’ores et déjà, on sait que le CSP-PSD, l’alliance de groupes armés qui avait signé l’accord d’Alger de 2015, avant de reprendre les armes l’an dernier et les mouvements djihadistes du Jnim (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), n’y sont pas conviés.
Nouhoum DICKO
L’Alerte