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Vers une république islamique au Mali ?

Ancien ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie, Nicolas Normand donne son point de vue quant à l’avenir du Mali dans le contexte d’instabilité politique et sécuritaire grandissant au Sahel.

Va-t-on vers l’instauration d’une république islamique au Mali ? Si cela se produisait, il existe a priori une variété importante de modèles possibles, du plus modéré – comparable à la république islamique de Mauritanie, efficace contre les dérives radicales – au plus extrémiste et foyer de terrorisme – comme Daech, naguère en Irak et Syrie. Entre les deux, les « nuances de vert » produisent des modèles inspirés soit des Frères musulmans, comme dans la Turquie actuelle, soit de type wahhabite, comme en Arabie saoudite, ainsi que le souhaiterait l’influent imam Dicko au Mali. Une autre possibilité, poussée actuellement par l’une des tendances maliennes djihadistes serait un modèle plus radical, inspiré des Talibans d’Afghanistan et d’Al-Qaida.

Plusieurs facteurs pourraient conduire le Mali, ainsi que le Niger, à changer assez fondamentalement leur type actuel d’État laïc, hérité de la décolonisation, vers l’un ou l’autre de ces modèles.

Il y a d’abord un décalage croissant entre le modèle laïc et de démocratie inspirée par les pays occidentaux, défendu essentiellement par les élites politiques éduquées qui sont quelque peu coupées de la base, et la population, en majorité rurale et peu marquée par les idées occidentales. En milieu rural, les valeurs religieuses musulmanes ont largement remplacé les cultures anciennes et autochtones. Les écoles coraniques sont désormais plus fréquentées par les enfants que les écoles publiques, souvent encore qualifiées d’écoles « françaises » et réputées diffuser de « mauvaises valeurs ».

Une vague de « réislamisation » a été encouragée depuis des décennies par la diplomatie religieuse des États du Golfe arabo-persique, qui finance les écoles coraniques, l’enseignement de la langue arabe, les universités islamiques, des ONG islamiques, des bourses d’études etc. Sous cette impulsion, la réforme salafiste ou wahhabite a gagné du terrain, ses prédicateurs défendant la thèse d’une dérive religieuse locale du fait de la mauvaise connaissance de l’arabe ou encore de l’interprétation par les confréries soufies qualifiée de déviante.

Négocier ?

Enfin, sous la pression militaire des groupes djihadistes que les armées locales, même aidées par Barkhane ou d’autres forces étrangères, s’avèrent incapables de vaincre, l’idée de « négocier » avec eux progresse fortement, d’autant plus que prévaut la croyance traditionnelle que tout s’arrange par la palabre entre « frères » maliens. C’est déjà le cas localement, par des négociations à la base qui ont de facto cédé des territoires aux djihadistes imposant leur modèle en échange de la paix. Au Mali, l’imam wahhabite Dicko, très actif dans le champ politique, revendique la possibilité d’un accord national avec les djihadistes sur un modèle de république islamique qu’il ne détaille toutefois pas.

Les groupes salafistes extrémistes armés dits « djihadistes », quant à eux, défendent trois idées :

– La première est que les institutions de l’État malien (ou nigérien) et le système de gouvernance dit démocratique seraient non islamiques et illégitimes. Les musulmans sont appelés à les renverser par la force pour les remplacer par une gouvernance théocratique fondée sur la charia.

– Deuxièmement, l’Occident et les élites occidentalisées, en particulier francophones, sont considérées comme des ennemis de l’Islam et sont des cibles légitimes, sauf éventuellement si elles rompent tout lien avec leurs alliés occidentaux.

– Troisièmement, les insurgés pensent qu’ils représentent la forme la plus pure de l’Islam et qu’ils doivent apprendre aux musulmans locaux à adopter cette approche plus stricte.

Ceci pose la question de savoir si une négociation fondée sur la recherche d’un compromis est réellement possible avec ces djihadistes. Il est clair qu’une partie importante de leur leadership ne s’y prêterait pas. C’est évident pour l’organisation EIGS (État islamique au grand Sahara) de Walid Al Saharaoui, qui représente près de la moitié des attentats terroristes au Mali et plus de la moitié dans les autres pays sahéliens.

Un dialogue serait cependant envisageable pour l’organisation rivale affiliée à Al-Qaida, le GSIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans), d’Iyad Ag Ghali, mais cela supposerait que ce dernier rompe tout lien avec Al-Qaida qui n’est pas non plus dans la logique d’un compromis. Il a laissé entrevoir un accord possible en posant des conditions préalables telles que le départ de toute force étrangère, ce qui le mettrait en position d’imposer ses volontés.

Il est possible que celles-ci consistent à s’assurer un émirat pour lui-même dans la région de Kidal (nord du Mali), accompagné d’une islamisation non radicale du restant du territoire malien, alors démembré de facto. Son émule l’imam peul Amadou Koufa, chef de la katiba du Macina (centre du Mali) a rejeté, à ce stade au moins, toute négociation. Dans un enregistrement audio largement diffusé en 2017, il a déclaré « Quel dialogue ? Sur quoi allons-nous négocier lors de ce dialogue ? Dieu ne se négocie pas… Soit nous l’emportons et faisons prévaloir la volonté de Dieu, soit nous mourrons ».

Quel est alors le scénario le plus probable ?

Une transformation du Mali vers le modèle mauritanien (modéré) semble improbable actuellement car il n’apporterait aucune solution à l’insurrection djihadiste actuelle, tout en ne répondant pas à la demande majoritaire des élites politiques.

Par ailleurs, la poursuite et l’intensification de l’insurrection djihadiste semblent inéluctables car aucune mesure traitant les racines du mal (explosion démographique, non-développement, retrait de l’État, mauvaise gouvernance…) n’a pu être prise tandis que les forces armées nationales ne peuvent pas faire face sans un fort soutien extérieur. En cas d’affaiblissement net de l’appui extérieur, le scénario le plus probable à terme devient alors un modèle de gouvernance radicale islamique, imposé de gré (par une négociation/capitulation) ou de force (prise de pouvoir à Bamako).

Source: Le republicain

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